La conformité (ou compliance) des acteurs bancaires, à un socle de règles et principes internationaux, s’impose de plus en plus comme domaine fondamental de la gestion (management) des institutions financières. Dans cet entretien, Abdelatif Laamrani, avocat aux barreaux de Paris, Casablanca et Montréal et docteur en droit de l’Université Paris 1-Sorbonne, décortique les subtilités du droit bancaire marocain.
Le foisonnement des acteurs en matière bancaire et dans le domaine du financement a-t-il des implications sur l’évolution du droit bancaire marocain ?
Il faudrait mettre en évidence le fait que le secteur bancaire national se développe d’une manière soutenue, sur la durée. Il est bien ancré dans le contexte international, et converge avec les normes et standards les plus pertinents en la matière. Preuve en est la multiplicité des acteurs,
l’éclosion de nouveaux opérateurs et l’émergence de produits innovants. À partir de l’établissement de crédit (banque), qui est le principal acteur dans le domaine, sont apparus plusieurs intervenants «nouveaux» : les établissements de paiement qu’on peut qualifier de fintechs puisque leur modèle économique est largement digital, et vise le développement des moyens de paiement, la réponse à des besoins spécifiques de la clientèle et l’inclusion financière.
Dans ce même cadre de stimulation de la concurrence, on a assisté à l’apparition des structures de crowdfunding dont le cadre légal est entrain d’être achevé. Ce mode de financement est fondamental, car il pourrait faciliter l’accès des TPME au financement. Nous avons également assisté à l’encadrement progressif par les autorités publiques, via un pilotage assuré par la Banque centrale, de certaines activités et de nouveaux prestataires en matière de crypto-actifs, qui vont agir en matière d’exécution, de conseil, de custody et de conservation de ces actifs pour le compte de la clientèle à travers des conditions d’exercices spécifiques.
Aujourd’hui, quelle place occupe, selon vous, la compliance dans le droit bancaire marocain, et quelles sont ses conséquences sur l’activité des établissements bancaires et la clientèle ?
Aujourd’hui, la conformité (ou compliance) des acteurs de la banque à un socle de règles et principes internationaux s’impose de plus en plus comme un domaine fondamental de la gestion (management) des institutions financières, qu’elles soient établissements de crédit, sociétés de financement, institutions de microfinance ou autres organismes assimilés.
Pour simplifier, on peut juste mentionner que sous l’impulsion des organismes financiers et bailleurs de fonds mondiaux (BRI, Comité de Bâle, GAFI, Banque mondiale, FMI…), plusieurs corpus réglementaires ont été mis en place visant tantôt la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme LBC/FT, tantôt le respect des sanctions et embargos internationaux, tantôt la digitalisation pour une meilleure inclusion financière… L’objectif de la fonction conformité est alors de limiter les risques, qui ne sont pas seulement réputationnels, mais aussi juridiques, puisque les banques qui contreviennent à une législation applicable (même étrangère, par exemple américaine) se verraient actionnées en justice devant les tribunaux étrangers et sanctionnées lourdement. Sans oublier que le non-respect de ces législations entraînerait aussi des sanctions des autorités de régulation et de contrôle locales (BAM) contre les personnes assujetties fautives.
Aujourd’hui, les banques, même si elles disposent de directions en charge de la fonction conformité avec des moyens importants – étant donné les enjeux financiers tout aussi majeurs pouvant découler de poursuites judiciaires à l’international éventuelles doivent se faire accompagner par des spécialistes qui leur permettraient de naviguer sereinement au travers des multiples normes de compliance, au vu de la profusion des réglementations internationales et de leur équivalent local. Dès 2007, Bank Al-Maghrib avait rendu obligatoire, par voie de la directive n°49/G/2007, la mise en place de la fonction conformité afin de prévenir le risque de non-conformité. En 2017, elle a publié la circulaire relative à l’obligation de vigilance qui incombe aux établissements de crédit et organismes assimilés, et ce, dans le même objectif visant un alignement du cadre réglementaire marocain avec les standards du GAFI (La circulaire n° 5/W/2017 relative au devoir de vigilance a été amendée en octobre 2019).
Quelles sont les spécificités des contrats de prêt souverain et qu’en est-il des solutions possibles en cas de défaut souverain ?
L’emprunt souverain est un prêt dont le débiteur ou la caution (garant) est un État. Les créanciers de l’emprunt souverain ont, quant à eux, évolué à travers l’histoire. Au départ, ce sont les pays les plus riches qui étaient prêteurs, dans les relations multilatérales, à travers la conclusion de conventions financières. Ces traités internationaux constituaient le plus souvent des aides destinées à des projets de développement précis ou à des financements plus généraux, notamment en période de guerre.
Mais depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les institutions financières internationales et les banques de développement se sont substituées aux États. Nous avons, aujourd’hui, les deux plus grands prêteurs que sont la Banque mondiale (et ses multiples filiales) et le Fonds monétaire internationale (FMI), en plus d’un florilège de banques de développement ou d’investissement régionales. Avant de vous dire très brièvement quelles sont les spécificités des contrats de prêt souverain, la question qui se pose est celle de savoir s’il y a un droit uniforme régissant cette question. Autrement dit, en cas de litige, lié par exemple, à une défaillance souveraine, quel droit les parties devraient-elles appliquer ?
Les contrats de prêt souverain (qui ne sont pas considérés comme des traités internationaux, aujourd’hui) renvoient souvent à l’arbitrage spécialisé du CERDI ou à d’autres droits comme le droit américain, voire celui de l’État de New York quand le prêt souverain a fait l’objet de cession d’obligations à l’international. Les spécificités actuelles des contrats tendent de plus en plus vers des mécaniques conventionnelles de droit privé, des négociations et des restructurations à travers des clauses libérales dont la dimension financière tend à effacer l’origine publique de la dette.
Et enfin l’inexistence d’un cadre légal international, malgré les voix qui s’élèvent pour uniformiser une sorte de lex mercatoria du défaut souverain. Ce qui ouvre la porte aux spéculations sur les obligations souveraines retombées dans le ressort du droit privé par ce qu’on appelle «les fonds vautours». Le défaut souverain de l’Argentine, suivi par celui de la Grèce et enfin celui du Liban d’aujourd’hui, face à l’inexistence de mécanismes juridiques préétablis de traitement de la défaillance et/ou de l’insolvabilité des États, démontrent que les solutions qui étaient proposées, que j’expose dans mon ouvrage, en l’occurrence, le refinancement ou l’injection de capitaux frais supplémentaires, le rééchelonnement de la dette ou la restructuration de la dette…, ont rarement été fructueux. Le montage miracle n’existe pas dans l’environnement actuel, la solution a généralement été politico-économique. Il faudrait plutôt, à travers le contrôle de l’endettement en amont, éviter la situation irréversible d’érosion monétaire.
Enfin, BAM, encline à utiliser les crypto-monnaies de banque centrale (Central bank digital currency), est en passe de finaliser un dispositif réglementaire visant, entres autres, à encadrer les crypto-actifs, dont les Marocains sont friands. Quel est votre avis sur cette nouvelle orientation de BAM ?
La monnaie virtuelle est traditionnellement définie comme une unité de compte stockée sur un support électronique, créée, non pas par un État, ou une Union monétaire, mais par un groupe de personnes (physiques ou morales) et destinée à régler les échanges multilatéraux de biens ou de services au sein de ce groupe. Les monnaies virtuelles (MV) ont été conçues comme une alternative à la monnaie traditionnelle, initialement développées au sein de communautés virtuelles, notamment dans le cadre des jeux en ligne. Elles se sont multipliées et leurs possibilités d’utilisation se sont élargies et s’étendent désormais à la sphère réelle. Les MV, bien que de nature variée et reposant sur des modes de fonctionnement divers, présentent un certain nombre de risques communs parmi lesquels : le risque de liquidité, lié à leur faible convertibilité dans différentes monnaies ayant cours légal, le risque financier lié à la volatilité, le risque opérationnel lié notamment à l’absence de sécurité des «coffres forts» permettant le stockage des unités de la monnaie virtuelle et de garantie financière en cas de fraude ; le risque lié à l’intervention d’acteurs non régulés…
Dans ce contexte, le FSB (Financial stability board) a considéré, malgré un avis très prudent du Comité de Bâle sur les crypto-actifs, qu’il s’agit là d’une question de politique publique concernant, à moyen terme, l’émission de monnaies numériques par les banques centrales (central bank digital currency, CBDC). Il a proposé que les CBDC doivent fonctionner à la manière des espèces : les banques centrales vont commencer à émettre des CBDC qui circuleraient ensuite entre les banques, les entreprises non financières et les consommateurs, sans intervention supplémentaire de la banque centrale. Il faudrait que l’on mentionne enfin les aspects liés à la recommandation n° 15 du GAFI, qui prévoit, soit l’interdiction, soit la régulation des MV. Aujourd’hui, la tendance internationale, c’est l’encadrement et la régulation. Et c’est dans ce sens que BAM, à l’instar des autres banques centrales, prépare ce cadre réglementaire tout en cherchant à prévenir les risques susmentionnés. Elle va mettre en place les conditions d’exercice et de fonctionnement des prestataires de cette activité ainsi que les mesures à observer pour mieux adresser les risques induits, notamment la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la fraude, ainsi que la protection des consommateurs qui devient une priorité au niveau international. Preuve en est la défaillance, dernièrement, de plusieurs plateformes ayant entraîné des pertes financières importantes des investisseurs.
Une boîte À outils du droit bancaire
En tant qu’avocat d’affaires disposant d’une expertise avérée dans plusieurs disciplines, qu’est-ce qui a été à l’origine de la publication de l’ouvrage, intitulé «Droit bancaire marocain» ? Mon activité d’avocat d’affaires, représentant aussi bien en conseil qu’au contentieux des acteurs de la banque au Maroc et à l’étranger, qu’ils soient régulateurs, banquiers, investisseurs, emprunteurs, juristes, magistrats, chercheurs, étudiants…, m’a révélé qu’il y a un besoin flagrant, pour les professionnels de la banque, d’avoir une synthèse de référence en la matière. J’ai tenté, à travers ce travail qui ne prétend pas à l’exhaustivité, de balayer tous les aspects du droit bancaire marocain, à travers la présentation aux lecteurs d’une boîte à outils des thématiques principales du droit bancaire : l’accès à la profession bancaire, en exposant au processus d’obtention d’agrément de la part de BAM, le contrôle, la régulation et la supervision des établissements de crédit et organismes assimilés, les mécanismes juridiques des opérations bancaires, où l’accent a été mis sur tous les services que peuvent prodiguer les banques à leurs clients : ouverture et gestion de comptes ; octroi de crédit ; moyens de paiement… Etant passionné d’Histoire, je ne pouvais passer sous silence la longue évolution de la profession bancaire, des cambistes de Lombardie du XIe siècle aux mineurs de cryptomonnaies d’aujourd’hui.
Ensuite, une grande partie de la législation et toute la réglementation régissant les trois sphères (le compte bancaire, le crédit et les moyens de paiement) ont été passées au peigne fin pour ressortir les éléments des contrats bancaires, les droits et obligations des parties et les devoirs du banquier dans le cadre de sa responsabilité bancaire. Concernant le crédit, une typologie variée d’emprunts a été étudiée. Dans la dernière partie du livre, je me suis intéressé aux transactions bancaires internationales. Et en innovant par rapport aux manuels de droit bancaire classiques, l’analyse a été étendue à l’emprunt souverain, que nous avons considéré comme une transaction bancaire internationale «souveraine» versus les transactions bancaires internationales «privées» que sont les préfinancements, l’affacturage international, le crédit documentaire et les garanties autonomes. Dans le cadre du crédit souverain, nous avons passé en revue ses acteurs : les prêteurs ; la Banque mondiale, le FMI, ainsi que tous les autres bailleurs de fonds régionaux… Nous avons ensuite traité les conditions et clauses essentielles des contrats de prêt souverain, exposé la problématique du défaut souverain, et envisagé les solutions possibles. Momar Diao / Les Inspirations ÉCO